« Je n’ai pas connu mon père, Isaac Abramovici. Arrêté par la Gestapo 10 jours avant ma naissance. Il disparaît avec 870 hommes dans le Convoi 73 en direction des Pays baltes en mai 1944.
J’ai tenté d’apaiser ma douleur existentielle en faisant un film, Dor de tine, en vain. Plus tard, je découvre qu’il a été, à partir de 1943, “pisté” par la Sipo SD (Service secret de la Gestapo), depuis l’ambassade d’Allemagne à Bucarest, jusqu’à son arrestation à Nice en avril 1944. Il est accusé d’être l’un des maillons d’un trafic d’argent entre la Roumanie et le Sud de la France. La découverte fortuite du courrier de la Sipo SD a acéré mon désir de savoir, d’approfondir, et encore une fois de dialoguer avec la Grande Histoire. Les documents retrouvés au CDJC portent tous la signature des hauts responsables, des bourreaux, des “auxiliaires du nazisme” comme le dit très justement Annette Wierviorka. Bucarest, Berlin, Paris, Sud de La France, les traces du passé ne sont pas si loin.
Trois années d’immersion totale dans un silence habité, pour aboutir à mon premier récit, à l’encre rouge, publié par les Impressions Nouvelles. J’ai voulu que l’écriture chasse la peur qui me hantait, non pas comme un médicament apaisant, mais comme une victoire contre le mal. J’ai souhaité que le mot remplace l’innommable. Mais comment combler les manques, interpréter les non-dits, comment rejoindre ces moments que je n’avais pas vécu, que je ne connaissais pas, qui n’ont jamais été écrits ? Que privilégier ? Réalité ou imaginaire ? Documentaire ou fiction ? Je n’ai pas choisi, j’ai opté pour le mélange.
La route que j’ai parcourue a échappé au texte premier. Insidieusement, j’ai emprunté un chemin de traverse. Comme dans un contrepoint musical, j’ai installé mes rêves et cauchemars, qui semblent en apparence si éloignés du récit. Fabriquer cet évanouissement dans l’histoire de ma douleur, aller me mouvoir dans cette région indéterminée, souvent incompréhensible, de ces petits textes au milieu d’une page, ce serait donc la seule justification de mon travail ?
Je souhaite que les lecteurs puissent être attirés, comme je le suis, par ce qu’il y a entre les mots, à côté de ce qui n’est pas dit, dans le blanc du tableau. »
Mireille Abramovici