Le personnage de Van Melkebeke a tout pour fasciner. « Perdant magnifique », il semble sorti d’un film noir ou d’une bande dessinée.
Né à Bruxelles en 1904, dans un milieu des plus modestes, Jacques Van Melkebeke se rêvait peintre, et le devint. Mais ses innombrables tableaux, de facture plutôt académique, sont aujourd’hui bien oubliés. Et seul son rôle de « clandestin de la bande dessinée » vaut à l’artiste une gloire posthume dont il aurait été le premier surpris. Collaborateur du « Soir volé » et du Nouveau Journal sous l’Occupation, éphémère rédacteur en chef de Tintin en 1946, scénariste anonyme de quelques Corentin de Paul Cuvelier et de Hassan et Kadour de Jacques Laudy, Van Melkebeke fut surtout un proche d’Edgar Jacobs – qu’il connaissait depuis l’enfance – et de Hergé, qu’il rencontra en 1940.
Comme l’écrit Benoît Mouchart, « les incertitudes charriées par la rumeur nourrissent des spéculations bien séduisantes. L’idée qu’un créateur privé de sa signature ait pu inspirer deux des plus grandes œuvres de la bande dessinée francophone ne manque indéniablement pas d’attrait pour les esprits romanesques. N’est-il pas tentant de voir en Van Melkebeke une sorte de professeur Septimus de la BD, agissant dans les souterrains de l’anonymat parce que la Justice l’y contraignait ? »
Admirablement documenté, À l’ombre de la ligne claire ne cherche pas à donner corps à cette nouvelle légende. Mais il reconstitue de manière subtile ce « chaînon manquant » dans l’histoire de la bande dessinée belge.
Auprès d’Hergé, Van Melkebeke joue le rôle d’un scénariste « maïeutique » ; il dialogue avec l’auteur des Aventures de Tintin davantage qu’il n’écrit pour lui, même si son apport est manifeste dans des récits comme L’Étoile mystérieuse, Le Secret de la Licorne et Les 7 boules de cristal. Grand lecteur, nourri de références culturelles hétéroclites, « Van Melk » aide Hergé à donner davantage d’épaisseur à ses récits. Mais lorsqu’il développera de façon plus méthodique, avec Bernard Heuvelmans, le scénario d’On a marché sur la Lune, Hergé rejettera son texte avant de rompre avec lui dans des circonstances tristement rocambolesques…
Auprès de Jacobs, « l’ami Jacques » occupe une place plus importante encore. Modèle du professeur Mortimer, il est surtout le complice privilégié de l’élaboration de tous ses albums. « Interlocuteur extrêmement coriace mais toujours constructif », Van Melkebeke n’est pas étranger à la magie du Mystère de la Grande Pyramide ou de La Marque jaune. Il ne devrait pas retomber dans l’oubli.
Première biographie du « clandestin » de l’école belge et passionnante contribution à l’histoire de la bande dessinée, À l’ombre de la ligne claire est réédité pour la première fois depuis sa parution en 2002. Le texte a été profondément revu et est augmenté de nouveaux documents d’archives.