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Blog Mon bout de monde (2013)
25 septembre 2013

FRAGMENTS DE LA MORT DE CHET BAKER

Voix basse. Écrire dans la rumeur. Certains matins, il vous prend cette même envie : voler comme les oiseaux. Débarrasser le plancher. Et ce n’est pas spécialement mourir que vous désirez. Écrire dans la rumeur, comme on chanterait dans le vent. Empêcher que les corps ne s’arrêtent en chemin. Aller mieux. Plus rien n’est possible dans ce foutu monde. Dans cette foutue peau usée. Ouvrir la fenêtre. Et d’un coup d’aile, évacuer la gêne. Celle qui vous prend à la gorge quand vous avez trop fumé. Allez

Image flottant dans la tête comme une fumée (vapeur, tiraillement) aux traits indistincts gravés par les heures et les heures répétées d’écoute. Gueule d’ange fracturée, sourire édenté, musique à la musicalité dissonante, comme calmement psalmodiée à la lisière du feu et de l’eau. Voix basse, tannée. Imprimée dans une enveloppe de silence, là où s’est tue la rumeur de la rue. Le monde dépossédé de sa matière. Alcôve où finissent les chants. Bras décomposés des amants. Au-delà de la puanteur.

Les filles tombaient comme des mouches. Ma voix de velours, ah ! ma voix de velours, chant de glaire, caressait leur instinct de femelle. Ceux qui ne l’ont pas connu n’en connaissent que le cliché. Photos noir et blanc, et lisses, de clubs enfumés. Pas le piquant des yeux, ni les aiguilles. Peau bleuie. Perforée. À force d’entrer dans mes veines la tranquillité. Couleur morne de fin du monde à quatre heures de l’après-midi. Bruits de rue lointains. Sommeil lourd dans des piaules désordonnées. Écrasé sous la luminosité abrutissante. Arrière-goût de sexe sur le visage inconnu de filles endormies. Ange tombé du ciel et dommages collatéraux. Sourire édenté, bite molle. Un hématome comme une hécatombe. Il y a des gestes que les artistes répètent malgré eux. Les filles tombaient du ciel comme des mouches. Et je me fracassais la face.

Planer. La musique avant qu’elle ne se torde, la peau avant qu’elle ne vous défigure, le bruit avant qu’il ne survienne, l’oubli… Je ne suis pas le vieillard que je suis devenu (si vite, si soudainement) à vos yeux. Rive opposée. Lèvres immobiles. Je chante de derrière les miroirs. J’arrive à vos oreilles comme un rêve à l’esprit. Serpent hypnotisé par sa propre odeur. J’ai traversé pieds nus les déserts. Des épines cisaillaient ma chair alors que des scorpions suçaient mon sang avec délectation. J’ai laissé faire. La clarté trouble ma vue. Penser a toujours été si pénible. Ces années qu’il me reste sont si lourdes à porter. Ne plus revenir en arrière, aucun lieu n’est assez beau, et que ce ciel m’enchante, bon dieu. Les veines gonflées. Chasser le temps comme… Il sonne. Ce n’est pas spécialement mourir que je veux, c’est me défaire de la lourdeur. Coucher par terre. Sommeiller éternellement. Les voix se confondent avec le bruit de fond. Ruissellement de l’eau se perdant dans le vide. Veines gonflées. Je veux rester avec les anges. Putain. Rester avec eux.

M’accrocher à rien. Tenir dans l’air. Il n’y a plus d’endroit sur la peau où viser. Que le soleil paisible. Modigliani n’a-t-il pas vu pareil ? Ovale dans lequel je ne reconnais plus mon visage. Où mes traits se dissolvent. Écrire avec le vent. Mimer dans le noir l’expression de sa douleur. La merde. Longtemps j’ai rêvé d’une vie simple. Mais rêver – rêver – à quoi cela correspond ? La merde. Je regarde par la fenêtre. Par la fenêtre. Mon rêve s’envoler. La phrase se décomposer comme des cendres. C’était bon.

L’odeur de ce pavé humide me plaît. Y planter mon salut.

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