Je m’apprêtais à parler de Volodine (excellents l’un et l’autre, Écrivains et Macau), mais Volodine n’a pas besoin de moi et de toutes façons je parlerai de lui un jour, quand m’est tombé dessus 478 Jours naturels de Bernard Collin (éd. Les Petits Matins, 2012).
Écriture singulière, éblouissante, directe et incompréhensible à la fois, ultrapersonnelle et privée de subjectivité, fluide parce que heurtée et vice versa, littéralement sur tout et sur rien. Le monde entier peut y faire irruption à n’importe quelle ligne et pourtant le livre ne fait qu’écrire pour le seul plaisir d’écrire. Quel dommage que Barthes n’ait pas connu l’auteur au moment où il développait ses idées sur l’écriture comme essentiellement intransitive.
Écriture rythmée, mesurée, où la composition de la phrase in statu nascendi se fait sentir dans chaque mot, dans un suspense permanent. Rythme : l’écriture est tendue vers l’avant, on essaie de penser avec l’auteur pour voir où aller, comment continuer, par quels moyens ne pas tomber de vélo – mais, miracle, la surprise du mot suivant est toujours là. Mesure : le texte s’écrit au jour le jour, par tranches journalières, toujours recommençant à partir de zéro. La consigne est, tout simplement, nulla dies sine linea, de remplir une page de cahier par jour, peu importe comment, puis de passer à autre chose (dont personne ne saura rien : le journal n’est aucunement intime).
Écriture de l’improvisation absolue, mais qui ne ramène pas l’écriture vers le bas, comme dans le slam, d’une banalité littéraire souvent insupportable. Écriture abstraite aussi, mais qui ne procède pas par soustraction, comme sont tentés de faire tous ceux qui confondent écriture et peinture (et qui visiblement n’ont jamais lu les petits poèmes abstraits de Valéry, entre autres). Écriture du rite, surtout, de l’exercice spirituel, de l’ablution (mais que ce mot ne fasse pas penser à l’hygiène corporelle : l’écriture de Collin n’est pas de l’ordre du refoulement, elle est du côté de la construction, même éphémère et volatile).
Écriture inclassable, enfin, la formule est creuse mais elle n’en désigne pas moins une réalité littérature très concrète. Écriture qui ravive le désir d’une anthologie des inclassables, des fatalement perdus par les anthologies traditionnelles, des écrivains dont il suffit, justement, d’avoir lu un fragment pour qu’on ne les oublie plus.