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Du côté des auteurs

Depuis que la poésie a été décrétée “inadmissible” (mais Denis Roche n’était pas le premier à le dire), le paysage poétique français s’est divisé en deux camps. Aux partisans de la poésie traditionnelle, soucieuse de transparence et de communication lyrique entre auteur et lecteur s’opposent les divers courants de  l’“extrême-contemporain”, qui s’interrogent sur la complexité des rapports entre le sujet et la langue et dont les travaux interrogent les limites, soit par défaut, soit par excès, de la parole. La question de l’illisibilité, qui est une des questions les plus capitales de la réflexion moderne sur la littérature, ne se pose évidemment pas de la même manière selon qu’on se pose du côté de la tradition ou du côté de son dépassement. Pour les “extrêmes-contemporains”, ce n’est pas la littérature de recherche qui est illisible, mais la poésie traditionnelle (puisque mièvre, réactionnaire, apolitique, etc.). L’illisibilité que leur reprochent les tenants de la poésie traditionnelle est assumée par les modernes comme un label de qualité, plus exactement comme une opportunité permettant d’avancer une série de propositions sur ce que l’écriture contemporaine doit être sous peine de perdre toute pertinence sociale, littéraire, politique dans le monde d’aujourd’hui. On se rappelle que, du côté de la notion de “forme”, des débats similaires ont traversé le champ des arts visuels et de la théorie esthétique en général : là aussi, la modernité est résolument du côté de l’“informe”, que l’on sait être devenue la norme culturelle depuis une fameuse exposition de Rosalind Krauss et Yve-Alain Bois à Beaubourg au début des années 1990.

L’illisibilité en questions (PU du Septentrion, 2014), actes d’un colloque organisé à San Diego par Alain Lescart (qui y enseigne) et Bénédicte Gorrillot (Université de Valenciennes), part de cette dichotomie, avec d’un côté les “méchants” (l’infâme, je cite, “Printemps des poètes”, Maulpoix, Pinson et Cie) et d’autre part la production poétique symbolisée par les catalogues d’Al Dante, de P.O.L. et, dans une moindre mesure (du moins ici), de Flammarion. Ce point de départ a l’avantage d’offrir une articulation claire et nette du champ, qui situe les acteurs, les enjeux, les époques, mais aussi et surtout les questionnements autour de cette notion d’illisibilité dont le sens est tout sauf homogène. Chaque auteur, chaque courant, chaque événement, à la limite, chaque texte suscite en effet des problèmes et des opportunités d’une grande diversité, dont l’ensemble permet de dresser un panorama vivant, dynamique, ouvert de l’“extrême-contemporain”.

Organisé autour de quatre auteurs invités (Michel Deguy, Jean-Marie Gleize, Christian Prigent, Nathalie Quintane), qui représentent des générations, des sensibilités, des écritures très diverses, le colloque donne un excellent aperçu des débats autour de la notion clé de l’illisible. La formule choisie y est beaucoup, qui privilégie d’abord le dialogue entre les invités : Deguy, Gleize, Prigent et Quintane présentent d’abord leurs propres positions (le pluriel s’impose), puis s’interrogent et se commentent les uns les autres (dans certains cas, surtout quand parle Nathalie Quintane, les échanges sont vifs). Ces conversations, qui rappellent heureusement le salon littéraire, se trouvent complétées par des textes de synthèse des organisateurs (les interventions initiale et finale de Bénédicte Gorrillot offrent d’excellentes synthèses), puis par une série de lectures sur des auteurs absents du colloque (on y relèvera surtout une belle lecture de la poésie de Pierre Alferi par Éric Trudel).

Pour large et ouvert qu’il fût, le colloque ne peut évidemment prétendre à l’exhaustivité. Non seulement à cause des inévitables absences (celle de Philippe Beck, par exemple), mais aussi par une série de partis pris théoriques et méthodologiques qui nécessiteraient, tout aussi inévitablement, sinon l’organisation d’un autre colloque, du moins la poursuite du débat sous d’autres cieux et en d’autres formes. On peut regretter ainsi que la notion antithétique de “lisibilité” ne fasse pas l’objet de beaucoup d’attention, alors qu’elle n’est pas moins complexe, ni moins controversée, que celle d’illisibilité. L’extrême-contemporain se veut, se pense, se sait lisible, certes à sa façon, et il est urgent de comprendre ce qu’il en est de la communication en poésie contemporaine (“comment se faire comprendre, et pourquoi ?” est une question qu’on ne peut reculer à l’infini). De la même façon, on peut regretter aussi l’absence de… contradicteurs. Il n’est pas très clair pourquoi un tel colloque devait s’organiser aux États-Unis, mais sans voix américaines, et “entre amis”, c’est-à-dire en l’absence de critiques et surtout de lecteurs hostiles à l’extrême-contemporain (il n’est pas très crédible, et d’ailleurs cela ne se dit pas, qu’un tel colloque ne serait pas possible en France, par exemple à Cerisy ; reste à savoir ce qu’a pu signifier pareille excursion dans le sud profond de la Californie). Si la formule du dialogue a rendu possible l’échange et parfois la confrontation d’opinions différentes, les points de vue vraiment antagonistes restent littéralement invisibles, comme si les poétiques du lisible étaient tellement ridicules et compromises qu’il n’était plus la peine d’y revenir. Saluons au passage l’intervention rafraîchissante de Jean-Jacques Thomas, pourtant peu suspect de sympathies anti-contemporaines mais très familier des approches américaines de la poésie, qui laisse entendre une voix un peu dissonante. Sa distinction entre “form”, soit “forme-ordre” ou “forme-contrainte”, et “shape”, soit l’organisation de l’œuvre considérée du point de vue d’une problématique esthétique, aide à déplacer et à décrisper bien des positions théoriques limitant la forme à la “form”.

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