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Blog L'enfance de l'art

Certains de mes amis, et à plus forte raison les relations plus lointaines, s’étonnent parfois de mon extrême manque de curiosité pour les langues étrangères, et de mon obstination à ne parler que français, en tout temps, en tout lieu, sauf quand je ne peux pas faire autrement ; et le mauvais anglais auquel je recours alors ne révèle aucun empressement particulier pour sortir de ma langue.

Quand on me demande pour quelle raison, moi qui aime tant l’Italie, je n’ai jamais fait un pas vers la connaissance de l’italien – alors que le latin m’est intime et que Virgile n’est jamais loin de moi –, je m’avise bien d’une réponse immédiate : que la lecture est un acte intellectuel, alors que la parole est toute entière physique. Pour lire un texte dans une autre langue que la sienne, il suffit d’un peu de temps, d’un peu de savoir et d’un peu d’ardeur. Pour parler la langue des autres, il faut changer de corps, et en somme, de mœurs. Certes, je peux m’imaginer parlant et pensant « couramment » en italien, en russe – en américain. De même, je peux m’imaginer plongeur sous-marin, homosexuel ou bouddhiste, mais c’est peu de dire que rien ne m’y pousse, et que je n’en vois pas la nécessité.

Une autre raison de cette tournure d’esprit tient sans doute au choix que j’ai fait, ou qui m’a fait, d’être écrivain, c’est-à-dire d’utiliser le langage pour produire les choses et non pour les désigner, en sorte que je marche sans cesse au bord de l’intraduisible.

D’autre part, il est vrai qu’une langue donnée n’est pas à mes yeux un moyen comme un autre de s’exprimer ; et non plus la littérature, une forme comme une autre de communication. Je pensais déjà ainsi vers 22 ans, et j’écrivais, retournant une formule de Sartre : « l’essence de la littérature n’est pas la communication ». Pour moi, une langue est un corps, et je suis « en-français » dans toutes les occurrences organiques de mon être.

Ceci me paraît très distinct du fait d’appartenir à la communauté des francophones, qui est une illusion sociologique, et de même, je n’appartiens pas à la communauté des Européens, des intellectuels, des citadins, des hétérosexuels, des pères de famille parce qu’il s’agit là d’une commodité statistique et non d’un rapport aux choses ou d’une forme quelconque d’action.

Les corps et les âmes ne sont pas interchangeables, et l’échange des idées est tout autre chose que l’échange des identités. Par exemple, je sais fort bien ce que veulent dire les mots « milky way » ou « pole star », mais ils me retirent la voie lactée ou l’étoile polaire aussi exactement qu’un commutateur qui éteindrait le ciel d’un seul coup.

En somme, depuis l’âge de 20 ans, qui est celui de mes voyages et de ma découverte des autres rivages, j’ai découvert sur moi quelque chose d’absurde et d’irréductible : que j’aimais les gens, et que je n’aimais pas leur langue. Je m’arrange depuis avec ce balancier, dont le mouvement s’accélère, et qui hache le temps devant moi.

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