La nouvelle histoire littéraire française qui nous vient des États-Unis, French Global. A New Approach to Literary History (PU de Columbia, 2011), ne passe pas inaperçue. À l’instar de l’entreprise dirigée par Denis Hollier en 1989 (A New History of French Literature), qui avait cassé la représentation de l’histoire littéraire française sous la forme d’un grand récit où langue, littérature, nation et culture tendaient à coïncider sans faille pour la remplacer par une myriade de microrécits rattachés à des événéments très précis, le présent volume suit aussi une double démarche. D’une côté, elle prend d’abord position contre une certaine idée de la France, langue et littérature confondues: les auteurs de cette nouvelle histoire dénoncent les mythes et illusions de l’universalisme français, c’est-à-dire d’une culture finalement locale et tout sauf homogène qui prétend se donner en exemple au reste du monde, voire à parler à sa place. De l’autre côté, elle explore les ouvertures que donne le passage d’une conception du fait littéraire en termes nationaux et nationalistes à une conception élargie, celle de la mondialisation, par quoi les auteurs visent avant tout la prise de conscience des différences à l’intérieur comme à l’extérieur des frontières, puis la nécessité de redéfinir la position du français dans un monde en constant changement.
Le résultat de cette nouvelle approche, dont les responsables soulignent le caractère inchoatif, inaugural, est tout à fait intéressant, même s’il ne va sans surprise pour la littérature même. Comme on pouvait s’y attendre, la mondialisation que cherche à décrire les quelque trente contributeurs du volume est aux antipodes de l’idée ou plutôt de l’idéologie de la francophonie, écartée ici comme la réponse postcoloniale de Paris à la diminution de son influence dans le monde (à cet égard, qu’on nous permette de rappeler ici l’étude de François Provenzano, Vies et mort de la francophonie, Les Impressions Nouvelles, 2011, qui permettra de creuser utilement cette question très chargée). Au lieu de cela, qui aurait réduit la mondialisation de la littérature français à la dyade Paris + périphéries (de la province française à des pays comme la Belgique, des DOM-TOM au Congo, etc.), on trouve ici des réflexions fascinantes sur trois grands thèmes: l’espace (où est-il parlé?), la mobilité (comment la langue, les textes, les auteurs, les livres se déplacent-ils?) et les identités (comment penser la langue au pluriel? qu’est-ce que l’hybridité? d’où vient la littérature-monde? qui sont les auteurs et lecteurs qui décident de choisir le français?). Ces questions nouvelles engendrent des objets tout aussi novateurs, comme par exemple l’esclavage, la xénophobie, l’intellectuel universel, l’écocritique, le voyage, entre autres.
Cette nouvelle histoire sera pour tous les lecteurs, spécialistes et non-spécialistes, une source de nombreuses découvertes et interrogations. Il est indubitable qu’elle représente un enrichissement formidable de notre manière d’aborder le fait littéraire, au présent comme au passé. Nouvelle histoire littéraire, French Global innove aussi en mettant de nouveau l’accent sur le passé: en comparaison avec d’autres manières de présenter de grands aperçus historiques, c’est clairement le passé qui l’emporte sur le présent (le point de vue choisi est moderne, le corpus l’est beaucoup moins). La priorité donnée à l’histoire se reflète aussi dans la relative indifférence à la littérature proprement dite, au sens traditionnel du terme: culture, histoire, politique, philosophie, anthropologie semblent plus importantes que style, texte, écriture. Ce serait un problème si le livre était insensible à la spécificité du littéraire. Mais tel n’est pas le cas et ce serait donc une erreur d’ignorer cette publication comme une machine de guerre américaine contre l’exception française.