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Du côté des auteurs

Comme beaucoup d’auteurs de sa génération, Denis Roche (1937-2015) s’en est pris à la poésie, qu’il déclarait “inadmissible”. La formule est devenue aussi connue et restée aussi ambivalente, aussi ouverte à de multiples interprétations, que celle de Lautréamont déclarant que la poésie devait être “faite par tous”.

Dans les années 1960, décennie peu faste pour la poésie, Denis Roche publiait quatre recueils qui apportaient la preuve, paradoxale évidemment, de cette “inadmissibilité”, avant de se tourner vers d’autres formes d’écriture et surtout vers la photographie. Une évolution, non un virage : Denis Roche n’abandonne ni l’écriture, ni la poésie, qui transparaît aussi bien dans les images de l’écrivain que dans ses textes ultérieurs. Denis Roche ne répète pas l’histoire de Rimbaud. Il se tient à distance des écrivains qui rejettent l’expression littéraire au nom d’une exigence trop radicale pour accepter le langage figé de l’institution. Tout se passe comme si le rejet de la poésie comme genre, non comme pratique, avait libéré le pouvoir créateur de Denis Roche, à qui cette rupture a permis d’inventer ou plus exactement de réinventer de nouvelles formes de poésie.

Il serait dommage en effet de ne retenir que l’aspect le plus radical de cette innovation : les antéfixes, ces “portraits” littéraires d’un type inédit. Loin de décrire les personnes, ces antéfixes se présentent comme des pavés typographiques composés à l’aide d’une contrainte singulière. Ce sont des fragments de texte prélevés « autour » de la personne évoquée, qui ont toujours la même longueur : 62 caractères dactylographiés (on était encore à l’âge des machines à écrire assignant à chaque lettre le même espace sur la ligne). Tout aussi importante est la redéfinition du rythme, qui relève désormais moins d’une répétition (de sons, de lettres, de syllabes, de silences…) que d’une coupure. Le rythme n’est plus pensé en termes de continuité, même brisée ou irrégulière, mais de choc entre ce qui est et ce qui n’est pas, entre ce qui est prolongé et ce qui l’arrête.

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Or, Denis Roche ne se contente pas de transposer à l’écrit la leçon essentielle du photographe qui coupe, dans l’espace (le cadrage) comme dans le temps (le déclic). L’esthétique du montage, du remix, de l’accumulation de fragments est le premier temps d’une redécouverte du lyrisme. Elle va donner à sa prose des qualités poétiques curieusement traditionnelles. Denis Roche est un auteur dont les textes deviendront de plus en plus « beaux ». Relisez par exemple Dans la Maison du Sphinx (1992), un recueil d’« essais sur la matière littéraire », ou les réflexions sur l’histoire de la photographie, Le Boîtier de mélancolie (1999), et lisez aussi le beau livre d’analyses et d’hommages Denis Roche : l’un écrit, l’autre photographie (collectif sous la direction de Luigi Magno, préface de Jean-Marie Gleize, 2007).

Entendons-nous sur les mots : tradition n’égale pas convention. Le goût de la coupure ne donne pas lieu à des phrases qu’il serait facile de répéter, même librement. S’il est encore possible de pasticher les premiers recueils de Denis Roche, le même exercice perd tout sens pour les textes d’après la rupture avec la poésie. Chaque phrase apporte ici une nouvelle surprise, mais le plaisir qu’en tire le lecteur n’est plus seulement celui du choc : chaque suspension relance une attente que l’écrivain s’ingénie à ne pas combler, à faire dévier sans arrêt. Rien de moins conventionnel, de ce point de vue, qu’un texte de Denis Roche. Cette unicité irréductible du style, toutefois, n’est pas incompatible avec la forme classique. La prose de Denis Roche, si moderne qu’elle soit, est même curieusement « antique » (il n’est pas le seul à faire penser au latin, si capital pour Ponge également). La poétique du discontinu en donne la clé : c’est grâce à elle que Denis Roche a su cultiver la plus profondément classique des figures, l’ellipse.

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