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Blog Réflexions sur l'humanitaire et ses dérives (2013)

« Le pape François, c’est d’abord et avant tout une rupture de style, de ton et d’approche », écrit Bernadette Sauvaget dans un récente analyse parue dans Libération, où elle nous brosse la stratégie d’un homme qui ne serait en fait « ni père la morale, ni révolutionnaire », un homme qui « semble disposé à faire bouger les choses. Mais dans un cadre qui reste fidèle à une certaine orthodoxie catholique ». Place des femmes au sein de l’Église, célibat des prêtres, refus de condamner les divorcés ou les homosexuels, relativisme prudent face à cette « culture de la mort » (avortement, euthanasie) dénoncée avec intransigeance par ses prédécesseurs… Sur tous ces sujets, le pape François se démarque en effet fortement des milieux les plus conservateurs de l’Église.

Mais est-ce « en se positionnant de la sorte » qu’il est en train de gagner véritablement « la bataille de l’opinion publique, au-delà des cercles catholiques » ?

Je ne le crois pas. En tout cas, pas seulement. Car au-delà des cercles catholiques dont les convictions réactionnaires ne seront guère ébranlées tant que François ne dépassera pas certaines lignes pourpres susceptibles d’entraîner un schisme, ces questions de chapelle et de couleur des murs me paraissent assez marginales dans l’enthousiasme et l’espoir indéniables qui sont en train de naître.

Si depuis son entrée en fonction, le pape François s’attire chaque jour davantage les bonnes grâces des foules, toujours plus nombreuses à le suivre, et « au-delà des cercles catholiques », je crois que c’est parce qu’il dénonce systématiquement, fermement, comme aucun autre chef de l’Église ne l’avait fait avant lui, le capitalisme financier sans éthique, l’argent idolâtré par les élites politico-industrielles, la cupidité sans borne des puissants qui font de ce monde un enfer où le chômage et la misère s’aggravent à mesure qu’eux-mêmes et leurs clans s’enrichissent.

Les propos tenus par François lors de sa visite en Sardaigne le 22 septembre, rapportés par une dépêche AFP parue dans Libération, me paraissent très significatifs de la mission qu’il semble s’être fixé à la tête de l’Église, une Église qui serait enfin proche des gens et de leurs vrais tourments, de leur vraie souffrance – qu’importe pour eux que le curé soit marié ou non, qu’il préfère les préservatifs roses ou bleus –, au-delà même de leur sentiment religieux :

« Cette souffrance finit par cacher l’espérance, le manque de travail amène à un sentiment de perte de dignité », a-t-il affirmé.

Cet état de fait est la « conséquence d’un choix mondial, d’un système économique qui a en son centre une idole qui s’appelle l’argent », a-t-il martelé, ajoutant vouloir « remettre au centre l’homme et la femme ».

« Sans travail, il n’y a pas de dignité », a souligné fermement le pape.

« Luttons tous contre cette idole qu’est l’argent, contre un système sans éthique, injuste, dans lequel l’argent commande tout », a-t-il lancé, déclenchant applaudissements et pleurs dans la foule.

Des pleurs, oui. Ces pleurs qui expriment, en une intense communion populaire, l’immense soulagement, l’espoir d’en finir bientôt avec les douleurs passées infligées par un système morbide, la joie pour tous d’être enfin entendus et considérés autrement que comme une masse d’exploités et de pauvres soumis, manipulés, auxquels il conviendrait de faire la morale et la charité, et n’ayant plus qu’à dire « Amen » et « merci ».

Le pape François, porteur de la tradition du tiers-monde, a compris mieux qu’un autre l’origine du Mal. Et il la dénonce avec fermeté, partout, en appuyant ses mots. Il se veut le « pape des pauvres » – expression journalistique malheureuse, car la redoutable Grameen Bank du très libéral Muhammad Yunus s’était proclamée quant à elle, dans sa période de propagande glorieuse pour la meurtrière micro-finance, la « banque des pauvres ». Il nous parle, nous encourage à lutter tous ensemble et nous console de nos échecs individuels subis, il serre des mains et caresse des têtes pleines d’avenir. D’une voix et d’une gestuelle charismatiques, il nous dit d’espérer, mais aussi d’agir, et il se montre au plus proche de nos préoccupations quotidiennes : travail, logement, éducation, santé, ressources légitimes pour vivre dans la dignité, et bien sûr, si possible, dans un monde en paix.

Comme dans La charité des prédateurs, je ne peux que me réjouir encore de cette amorce de métamorphose de l’Église qui semble faire montre désormais d’un certain esprit d’ouverture, mettant ses vieux dogmes en sourdine. Le pape François appelle à l’écoute et à la tolérance, parle enfin des vrais problèmes de l’homme sur la terre et, surtout, aborde de manière frontale la question idéologique du capitalisme assassin et du profit généralisé des uns, une minorité toute puissante et très organisée, au détriment des peuples.

Si certains peuvent encore douter de sa sincérité et de sa détermination, je voudrais leur rappeler un événement majeur passé quasiment sous silence par les médias généralistes, qui me paraît d’une extrême importance et témoigne des grands bouleversements porteurs d’espoir qui sont en train de s’opérer peu à peu.

En effet, le mercredi 11 septembre 2013, le pape François recevait officiellement au Vatican le prêtre péruvien Gustavo Gutierrez, l’un des fondateurs de la « théologie de la libération », courant né en Amérique latine au cours des années 70, et qui a longtemps été combattu par le Vatican, voyant en lui de potentielles dérives marxistes. Grand dieu ! Leonardo Boff, son chef de file au Brésil, fut même condamné au « silence pénitentiel » par l’austère et réactionnaire Benoît XVI… Accueillir ainsi et être enfin à l’écoute de cette « théologie de la libération », qui appelle à des actions sociales concrètes contre les exploiteurs, est un pas décisif.

Si l’Église, au-delà du choc des mots nouveaux et du poids des images inhabituelles, parvient enfin à admettre la nécessité et l’urgence d’une réelle lutte politique pour s’opposer aux méfaits du capitalisme planétaire qui engendre partout la misère, qui spolie à travers le monde les paysans de leurs terres pour en faire des parias des villes, alors elle pourra sortir du cercueil doré à l’or fin et rance de ses compromissions passées, où elle s’enferme depuis des décennies, abandonnant sa fonction pastorale et sociale fondamentale à des armées d’associations « charitables », impuissantes et déviantes sous leurs beaux logos, de racleurs de dons gaspillés en salaires, d’évangélistes en tous genres, de prédicateurs high-tech et de magiciens de la déduction fiscale.

Dans cette perestroïka catholique, j’espère que le pape François parviendra à faire comprendre aux peuples occidentaux endormis dans un confort en peau de chagrin et dépouillés par des États voyous au service d’une finance criminelle que, contrairement à ce que prétendait, déjà désabusé, le sombre docteur Xavier Emmanuelli en 1998 dans L’homme n’est pas la mesure de l’homme, ce sont bien les luttes sociales, et elles seules, qui peuvent réparer un monde où l’exclusion et l’exploitation cherchent à faire la loi. La solidarité bien-pensante des bonnes âmes rétribuées et des parfumeurs agréés de misère n’y suffit plus. Pire : contaminée par le capitalisme, elle est même devenue une nébuleuse d’actions nuisibles gérée par des prédateurs.

Un jour prochain, je l’espère, le pape François évoquera aussi sans détours l’ignominie de ces charités coupables, parasitaires, malsaines et indécentes, en collusion avec l’ennemi.

Christophe Leclaire

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