Longtemps, j’ai raconté l’histoire de méchants hommes. Le héros d’un de mes romans étranglait sa compagne par pure maniaquerie. Un autre de mes personnages, ayant trouvé un pistolet dans un cinéma, enlevait une inconnue qui ne lui avait rien fait. Un troisième assistait sans intervenir au suicide de la malheureuse qui avait eu la mauvaise idée de se lier à lui (heureusement, quelqu’un la sauvait). Mais à Impressions nouvelles, nouveau héros. Celui de J’ai des blancs est beaucoup plus gentil que ses prédécesseurs. Certains lecteurs ne le remarquent pas, et évidemment mon personnage, qui est aussi mon narrateur, trouve toujours les gens insupportables et leur souhaite tous les maux. Mais d’une part il n’a pas tort, les gens sont insupportables, et de l’autre il a de sérieuses excuses pour être de mauvais humeur. Les héros de mes autres livres agissaient sans motif valable, tandis que celui-ci a ses raisons.
Lesquelles ? Ne comptez pas sur moi pour vous le dire, ni pour vous expliquer pourquoi il erre, un cartable vide à la main, autour du lycée où il a le malheur d’enseigner quand il n’est pas en congé de maladie. Il y a une histoire pour ça. Question de courtoisie, on raconte une histoire, il en faut une pour servir de prétexte à ce qui compte vraiment : la voix et le sujet.
Une voix, la mienne ou une autre… Mais je suis comme Flaubert ; moi aussi, « les œuvres d’art qui me plaisent par-dessus toutes les autres sont celles où l’art excède. J’aime dans la peinture, la Peinture, dans les vers, le Vers. » Il faut à mon avis que l’écriture s’entende — pas trop, je ne parle pas de grosse caisse. Cependant on doit percevoir sa musique, son rythme, puisque le vrai sujet, c’est toujours d’abord elle.
Et, ici, doublement. À chacun sa névrose, la mienne est à coloration obsessionnelle. Mon prof en rupture de ban est hanté par des pensées qu’il ne faut pas avoir, des images que surtout il voudrait éviter. La fameuse histoire dira pourquoi, ces pensées ont trait à la mort. J’ai eu la prétention de croire que de ce point de vue-là tout le monde était plus ou moins comme mon personnage et que le lecteur, quelle que soit sa propre névrose, comprendrait un peu ses angoisses. Mais névrose mise à part, est-ce que l’écriture ne tourne pas nécessairement autour du pire, et son effort compliqué ne tend-il pas toujours à en dessiner les limites ? L’homme au cartable se donne beaucoup de mal pour contourner ce que le style désigne sans le dire. Une vraie danse. Il évolue sans cesse sur la pointe des pieds, tout en petits sauts et esquives, ce qui le rend plutôt comique. On dirait un écolier en train de jouer à la marelle, ce jeu où le tout est d’éviter de poser le pied sur le blanc.