Du mercredi 13 décembre 2017 au lundi 23 avril 2018, une grande exposition au Mucem (plus de 300 objets, 800 mètres carrés) nous invite à repenser le genre méprisé du roman-photo. « Repenser » est en effet le mot qui s’impose, car les commissaires de l’exposition, Frédérique Deschamps et Marie-Charlotte Calafat, sont parvenues à éviter le double piège qui sous-tend toute initiative autour du roman-photo : la nostalgie, d’une part, la distance ironique ou parodique, d’autre part (les deux sont d’ailleurs loin de s’exclure).
« L’Amour de A à Z » est une exposition qui prend le roman-photo au sérieux, tout en posant la question de ce qui a pu freiner l’épanouissement d’un genre virtuellement aussi riche que la bande dessinée. À l’instar du cinéma, le roman-photo est à la fois une industrie et un art, mais ce qui a toujours été possible au cinéma, à savoir l’émergence d’œuvres de qualité au cœur même d’un univers soumis aux lois marchandes, s’est avérée plus difficile dans le domaine plus étroit du roman-photo. Cependant, l’exposition montre clairement qu’il est grand temps de nuancer les critiques traditionnelles à l’égard du genre. Le caractère mécanique de la mise en page, les pauvres qualités photographiques de beaucoup de la plupart des œuvres produites à la chaîne, enfin le caractère gentiment réactionnaire de l’intrigue de base, ne résistent pas à un regard plus attentif. L’iconographie rassemblée dans l’exposition oblige à revoir les jugements à l’emporte-pièce sur la laideur des images. Elle aide aussi à revenir sur pas mal de partis pris sur les supposées tares idéologiques du genre, qui est bien plus qu’une machine à aliéner les femmes au foyer. L’exposition continue ainsi le travail de pionnier effectué par des critiques et historiens du genre comme Bruno Takodjerad, auteur de plusieurs ouvrages de référence sur le roman-photo populaire et ses prolongements au-delà des seuls magazines de romans-photos.
L’intérêt majeur de « L’Amour de A à Z » se trouve cependant ailleurs. L’exposition ne se contente pas de réunir un éventail d’images et de publications souvent étonnantes, elle a aussi le courage et l’intelligence de défendre une véritable thèse, à savoir que le médium du roman-photo ne se limite nullement au genre du roman-photo sentimental avec lequel certains continuent à le confondre. Plus que le roman-photo, l’exposition montre les usages du roman-photo, infiniment divers et souvent d’une très grande richesse formelle et thématique. On trouvera donc à Marseille des sections fascinantes sur les détournements situationnistes (bien plus intelligents que les parodies photo-romanesques mieux connues), les réappropriations du roman-photo dans l’écriture poétique d’avant-garde (où la présence des images est souvent ramenée à la seule question de l’illustration) ou encore la production dite de genre, c’est-à-dire l’exploitation de la formule photo-romanesque dans des genres moins légitimes comme la pornographie.
Enfin, et c’est là sans doute l’apport majeur de l’exposition à la création contemporaine, « L’Amour de A à Z » consacre une place d’honneur aux écrivains et artistes qui s’emparent du médium pour en déplacer les limites. Exemplaire à cet égard est le travail de Marie-Françoise Plissart, dont Droit de regards est justement mis à l’honneur, ou encore celui de Chris Marker, dont La Jetée, film-culte fait presque exclusivement avec des images fixes, a fait l’objet d’une remarquable réinterprétation photo-romanesque. Mais beaucoup d’autres noms seraient à mentionner ici, dont ceux de Frédéric Boilet et Laia Canada, auteurs d’une autobiographie photo-romanesque à quatre mains (286 jours) ou Lia Paris, qui explore les voies des séries télévisées (Vasistas) ou de l’interview photographique (Le Café matinal).
Le site web de l’exposition :
www.mucem.org/programme/exposition-et-temps-forts/roman-photo
Le roman-photo aux Impressions Nouvelles :