Les mots servent à fixer les choses pour qu’elles existent. C’est une de leur qualité. Les choses n’existent pas encore : elles naissent ou renaissent par le fait même qu’on les évoque avec de mots.
Si on dit : « il fait beau » ou « ce fauteuil est confortable », on ne se contente pas de formuler des choses qui sont là tout entières : on les fait arriver. Si on dit : « j’aime les roses », on décide qu’aimer une rose + une rose + une rose = aimer toutes les roses. Si on dit : « je suis triste » ou « ma vie est foutue », on unifie par cette formule des petits moments dont le sens n’est pas clairement dégagé.
Car on n’est pas toujours heureux ou malheureux, intelligent ou stupide. La plupart du temps, on est vague, c’est-à-dire rien. On comprend vaguement les choses, on éprouve vaguement des sensations heureuses ou malheureuses. On n’est pas guidé par la vérité, mais par l’absence inquiétante de mots précis, nécessaires et surtout véridiques.
Il ne s’agit pas de « sentir » si nos mots sont vrais. Il s’agit d’aller vers l’endroit où en les prononçant, ils deviennent vrais.
Et si on dit à tout hasard : « je vais devenir un oiseau », ou : « je suis un génie en mathématiques », on ment. Ces mots purement prospectifs ne vont pas dans la direction de la vérité, de sa vérité. On le dit sans y croire, dans l’espoir que cela arrive. Cela n’arrivera pas. Cela ne fait pas partie de la vérité possible, qui dans ces cas de figure, ne peut pas surgir d’un événement extérieur, mais devrait exister en nous, en germe, en ADN.
De là l’importance de choisir les mots, non seulement pour le sens qu’ils ont, mais aussi pour le sens qu’ils auront.
Un écrivain est parfois surpris de voir que ce qu’il a inventé arrive. La question est de savoir si cela arrive malgré le fait qu’il l’a inventé, ou parce qu’il l’a inventé. Cette invention n’était que l’intuition d’une réalité parallèle. Elle anticipe sur nos incarnations à venir.
Le pouvoir des mots est encore largement inconnu.