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Du côté des auteurs

La bande-annonce du livre annonce clairement la couleur : « Pour une nouvelle révolution sexuelle ». La quatrième de couverture, puis la préface de Virginie Despentes, enfin la longue introduction historique et théorique du livre, qui reprend des chroniques publiées dans le journal Libération entre 2013 et 2018, ne manquent pas de le souligner : plus que le simple témoignage d’une femme qui a décidé de devenir un homme, ces textes sont la critique fondamentale d’un état de société, plus exactement d’un état de civilisation, qui condamne ses sujets à occuper une place fixe dans toute une série de binarismes politiques et épistémologiques (homme-femme, homosexuel-hétérosexuel, Occident-Orient, légal-illégal, capitalisme-communisme, humain-animal, naturel-culturel, homme-machine, même-autre et ainsi de suite) dont les limites et surtout les contraintes deviennent de plus en plus difficiles à maintenir, tant elles sont en contradiction avec l’évolution des sociétés modernes.

Paul B. Preciado, dont les premiers livres était encore signés Beatriz, est un représentant majeur du mouvement queer, forme plus radicale de l’activisme LGBT qui va jusqu’à contester la séparation des clivages traditionnels. Philosophiquement parlant, le queer se réclame de plusieurs formes de « French Theory » : la déconstruction derridienne, la lecture féministe des recherches de Foucault sur la construction de soi, la philosophie du devenir de Deleuze. Mais la mise en cause libertaire, anarchique, sans nulle concession pragmatique de toute norme et de tout type de classement binaire, dont Preciado souligne le caractère dictatorial, ne se fait pas dans les livres et les colloques. Le théâtre de l’engagement queer est la rue, la chair vive du social, et le moins qu’on puisse dire est que ses militants s’exposent à plus d’un risque.

Philosophe et curateur d’exposition, notamment dans le cadre de la Documenta 14 (2017), la première à ne pas se dérouler exclusivement à Kassel mais à se partager entre la ville allemande et Athènes, lieu de transition par excellence et de contestation des identités, Preciado combine dans ce livre témoignage personnel (celui d’une errance, dans tous les sens du terme) et d’une réflexion de fond sur l’émergence d’une société et d’un sujet post-identitaires. Il le fait dans un langage d’une clarté exemplaire, non sans nous rappeler fréquemment que le français n’est pas sa langue maternelle : « Je suis venu vivre en France en suivant les traces de 68, qu’on pouvait lire à travers une philosophie dont la puissance athlétique n’était comparable qu’au football ibérique. Je suis tombé amoureux de la langue française en lisant Derrida, Deleuze, Foucault, Guattari ; je désirais écrire cette langue, vivre dans cette langue » (p. 66). Si la comparaison avec le football laisse rêveur, malgré l’intérêt biographique de Derrida pour le ballon rond, le souci de la langue, puis la décision de quitter sa langue maternelle sont parfaitement solidaires de l’exploration des possibles qui est au cœur de la philosophie queer.

Cette langue, toutefois, reste curieusement classique, à mille lieues des expériences d’une Kathy Acker, de loin l’autrice la plus téméraire que je connaisse dans cette partie de la bibliothèque (son livre Sang et stupre au lycée (éd. du Rocher, 2005), est vraiment un objet sans pareil – et une expérience de lecture dont personne ne sort indemne). Preciado, de ce point de vue, n’est pas sans rappeler Jean Genet, partisan de la révolte inconditionnelle mais grand ami du mètre, de la rime et de l’imparfait du subjonctif. C’est un grand compliment à la langue française, dont la syntaxe et la grammaire sont en mesure d’accueillir des textes d’une violence indéniable sans qu’on doive casser l’outil premier de l’écrivain.

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