L’art contemporain se veut hybride. Mais les mélanges des genres et des médias restent souvent timides et ne touchent pas aux rapports entre les autres eux-mêmes. Aujourd’hui, on illustre les livres de fiction ou de poésie comme on le faisait déjà il y a un siècle. Par rapport à Breton et Nadja, Sebald n’innove guère.
D’où l’intérêt de cette proposition de Charles Bernstein dans son analyse d’une exposition récente au MOMA de New York, « Inventing Abstraction, 1910-1925 » (ouverture décembre 2012). S’étonnant ‒ s’offusquant ‒ de la politique de non-traduction du musée, qui expose La Prose du Transsibérien de Blaise Cendrars et Sonia Delaunay en V.F. seulement, sans nulle traduction anglaise, il attire également l’attention sur une autre singularité, elle solidement universelle : la pauvreté artistique et intellectuelle des cartons explicatifs, que l’on sait limités à quatre mentions : nom (de l’auteur), titre (de l’œuvre), année (de production) et médium (d’exécution).
Pour rompre l’isolement des arts, chose absurde eu égard aux discussions résolument transversales et interartistiques qui entouraient la genèse de l’abstraction, il suggère de compléter les légendes descriptives des tableaux par des fragments d’œuvres qui leur font écho en d’autres médias. Sous une toile cubiste de Picasso on donnerait ainsi à lire, par exemple, un texte de Gertrude Stein.
Il est clair qu’il y a mieux à faire, dans la présentation d’une œuvre, que de décliner les éléments de son état civil, pour utile et indispensable qu’il reste. Et il convient de préciser aussi que Bernstein ne cherche pas à puiser dans l’art pour expliquer l’art, mais pour mettre en garde contre la tentation de comprendre trop vite. Grâce à Stein, on verra de nouveau ce que nous pensons avoir assimilé, à savoir le caractère révolutionnaire de Picasso.
(Charles Bernstein, « Disfiguring Abstraction », in Critical Inquiry 39 : 3, 2013, pp. 486-497)