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Archives (2012 - 2014)
17 septembre 2013

Au nombre des curiosités qui surgissent presque à chaque pas, quand on s’intéresse dans le détail à Pierre Louÿs, il y a les étranges analogies entre sa vie et celle d’un autre écrivain, plus célèbre que lui.

Les lignes de convergence entre Marcel Proust et lui sont suffisamment nombreuses en effet pour frapper l’imagination, dès lors qu’on se met à y songer.

Contemporains presque exacts, ils se sont peu rencontrés, et uniquement dans leur jeunesse, à l’époque de l’Académie canaque, fondée par la malicieuse Marie de Heredia, et des Mardis de Mallarmé. Puis ils se sont perdus de vue, et bientôt, pour des raisons différentes et pourtant semblables, ils ont cessé de se montrer en société, s’enfermant dans le travail et dans le passé. L’un et l’autre vivaient incognito, dans un quartier peu animé du Paris résidentiel, et leur visage était inconnu de la plupart de leurs lecteurs. Détestant la publicité, ils donnaient peu à voir leur personne et leur vie. Leurs rares photos ne circulaient pas.

Il y avait entre eux certaines ressemblances physiques (teint pâle, visage ovale, traits d’une douceur féminine), même si Proust avait quelque chose de languissant et d’oriental, et non pas Louÿs – plus viril et plus Français traditionnel. Il faut se souvenir que Louÿs, dans sa jeunesse, passait pour très beau (« plus beau qu’il n’est permis à un homme », disait de lui Oscar Wilde, qui évidemment n’était pas neutre) alors que Proust avait une allure gracieuse et singulière sans être vraiment joli garçon.

Ils se rapprochent d’abord par leurs lubies, leur intransigeance, leur style de vie. Par leur éloignement progressif de la vie publique. Par leur culte de Wagner, leur mémoire alerte, chargée de milliers de vers, leur mondanité intermittente, leurs vêtements démodés à partir de la trentième année.

Semblables aussi, leur mauvaise santé, traversée de brusques et courts sursauts d’énergie, leurs problèmes respiratoires (asthme pour l’un, emphysème pour l’autre), dont indirectement, ils mourront. Et plus encore, l’habitude qu’ils ont prise de veiller la nuit et de dormir le jour, et leur griffonnage inlassable « de guêpe fouisseuse ». On pourrait y ajouter leur sexualité cachée, leurs sautes d’humeur, leur culte de l’amitié (transcendé chez Proust par l’affirmation répétée qu’il ne croit pas à l’amitié, qu’il est athée en amitié).

Plus on creuse la question, plus on trouve des ressemblances : la perte prématurée de leur mère, leur mode de vie antihygiénique, leur peu de goût pour la campagne, doublé par un certain attrait pour les séjours balnéaires (Cabourg pour Marcel, Tamaris pour Pierre), leur peu de compétence pour les questions pratiques, leurs finances désastreuses, leurs brusques décisions d’économies (couper le téléphone) quand ils se croient ruinés, leur correspondance postale infinie.

Et même, leur antisémitisme d’époque (Proust respectant la judaïté « à cause de maman », mais sans se sentir le moins du monde juif, et n’ayant jamais mis les pieds dans une synagogue ni mangé de la carpe farcie).

La différence essentielle est que Proust s’isole pour écrire et non simplement pour se couper du monde. Il y a chez lui un ascétisme au service de l’œuvre qui n’a pas que des inconvénients. Il écrit à demi couché (ce qui est mieux du reste que de rester plié à demi sur sa chaise) et ne fait aucun exercice, mais il reste capable de rentrer à pied chez lui, une nuit de guerre où toutes les voitures sont réquisitionnées, et au besoin, de faire preuve d’énergie physique : lors d’une dispute, il se fait craindre d’un jeune soldat alerte (Emmanuel Berl) ; ou bien il flanque son poing sur le visage d’un Américain qui voulait lui souffler le dernier taxi ! (raconté par Paul Morand).

Proust mange peu, ne boit pas, met ses fonctions au ralenti, sans leur infliger le violent traitement du tabac et des drogues. Célibataire, solitaire, assez chaste, il échappe aux conflits conjugaux incessants que les sœurs Steenackers infligent à Louÿs. Et il mourra d’une pneumonie mal soignée, non d’un épuisement des fonctions vitales. Il parvient ainsi en moins de dix ans à mener à bien l’énorme entreprise de mémoire réinventée qu’est La Recherche. Louÿs disparaît trois ans plus tard, mais dès 1922, année du décès de Proust, il n’est plus qu’une ombre, et ne produit plus rien.

Tous les deux avaient du génie : celui de Proust est accompli, celui de Louÿs, pourtant si vivant, a été foudroyé. C’est tout mon travail d’explorateur de retrouver, maintenant, dans les ruines de ce désastre, les traces indubitables d’un grand-œuvre…

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