Poésie et politique font aujourd’hui mauvais ménage. Le problème, toutefois, n’est pas dans la conjonction “et”: les exemples abondent de poésie politique, de poèmes-interventions, de poètes à la tribune. Le problème est plus dans les mots qui cherchent ici à se conjoindre: on ne sait plus ce qu’il faut penser d’un mot comme “politique”, et la “poésie” a honte d’elle-même, elle n’ose en tout plus se croire capable de faire la différence dans la vie de la cité.
L’initiative des éditions de La Fabrique, mieux connues pour leur lutte en faveur d’une nouvelle politique que pour son amour du mètre et de la rime (ou de leur contestation dans la poésie moderne), est donc courageuse: inviter des poètes contemporains, plus exactement des poètes que le mot de “poésie” fait fuir et qui sans exception refusent d’aligner leur travail sur les contraintes de la poétique traditionnelle (Bailly, Gleize, Hanna, Jallon, Joseph, Michot, Pagès, Pittolo et Quintane), à dire le besoin de politique de toute écriture digne de ce nom.
Le résultat: Toi aussi, tu as des armes, un petit livre (petit quant au format, car ayant tout de même 200 pages) dont le titre est un emprunt à Kafka et qui pose efficacement quelques jalons de la rencontre entre poésie et politique.
Comment se présente une telle démarche? À quoi ressemble une poésie politisée aujourd’hui? La réponse est essentiellement négative d’abord. Une telle écriture ne se trouve pas dans le contenu des textes, ou très peu: le poème n’est pas un document, ni un témoignage (ce serait la version vieillotte de l’engagement que l’on n’a cessé de critiquer depuis Le Degré zéro de Roland Barthes). Elle n’est pas non plus dans la seule forme, dont se chercheraient des structures inédites, irrécupérables pour les besoins de la communication, c’est-à-dire de l’échange marchand (ce serait la version plus récente de l’engagement, typique des avant-gardes des années 60-80, dont tous les auteurs rassemblés dans ce recueil s’accordent à constater les limites, celles de l’esthétisme).
Ce qui se poursuit, c’est par contre le dispositif, soit le montage-collage de fragments du réel dont le réagencement permet une intervention dans le corps social, mais dans un temps et un espace déterminés. La poésie politisée ne fonctionne que hic et nunc: elle doit servir, mais sa validité est limitée. Dans ce contexte de dispositif-performance ou de dispositif-événement, forme et contenu peuvent alors revenir, l’une et l’autre retrouvant leur justesse, qui est fonction de leur nécessité Leçon à retenir par n’importe quelle poésie, d’ailleurs, qui se politise à force d’être réclamée.