Depuis que je me suis converti au paganisme, je souffre moins. Ce n’était pas une conversion facile. Il m’a fallu renoncer à l’oubli du corps et au vague de l’esprit. Il m’a fallu apprendre à regarder les arbres et les insectes, à ouvrir les yeux quand je croisais un miroir. J’ai serré les dents. Se raser devant sa glace, quel pince-nerfs. Il est tellement plus facile de se détester et de s’ignorer.
Accepter d’être fragile et périssable, et en jouir, est l’ascèse unique de cette religion de la lumière. Tout le reste en découle, la joie du matin et le supplice du soir. Et les intervalles du sang. Et l’alternance de plaisir et d’horreur que la pratique du monde fait lever à chaque pas.
Un des inconvénients d’une âme païenne est l’indifférence à l’éternité, et l’attrait pour la mort volontaire. Rompre ses chaînes par un geste concerté et sans retour est tentant. Respirer dans le repos du dernier jour de sa vie a une douceur déchirante.
Je connais des gestes simples pour lutter contre cet appel d’air. Marcher pieds nus sur le parquet vernis. Ouvrir la porte des chambres d’enfants, me pencher sur l’oreiller, écouter le souffle. Rester debout dans le bureau, sans lire, sans bouger, à guetter les variations du bruit. Lentement se déploie la pesée du plancher sur les jambes. Le monde à l’envers, la poussée tangentielle des abysses, sont des flux d’énergie et d’écriture.