Coups de soleil est un livre de jeunesse d’Henri de Montherlant. Il est peu lu, la nouvelle édition de 1976, toujours disponible (collection blanche, Gallimard), ne coûte que dix euros et j’ai pu constater que même de grands fans de cet auteur le connaissent à peine. Évidemment, Coups de soleil est un livre politiquement très incorrect: écrit surtout dans les années 20, il évoque le Maroc et l’Algérie comme si, littéralement, de rien n’était; éloge des pays des civilisations du Sud, le livre abonde en généralisations à nos yeux modernes bien hâtives; fou de tauromachie, l’auteur ne voit pas dans le remplacement de l’arène par le stade un signe de progrès.
Mais c’est un aussi un grand livre, un de ceux où l’on peut apprendre à écrire. Trois leçons s’en dégagent: on a intérêt à écrire sec, malgré le sujet qui invite à tous les épanchements comme à tous les débordements; le dialogue avec le lecteur est réussi si l’auteur parvient à communiquer une passion, si individuelle et apparemment impartageable qu’elle puisse paraître; enfin, la littérature est quelque chose qui ne relève pas de l’ornement mais de l’essentiel, qui sera toujours là, même quand l’objet dont elle parle aura disparu de la terre ou des esprits.
C’est le cas de la tauromachie, notamment (mais on pourrait multiplier les exemples: je n’ai jamais lu un texte aussi réussi sur Marseille que celui qui ouvre ce volume; il y a aussi des méchancetés antifrançaises d’une grande drôlerie). Voilà un objet, une pratique, une culture “menacés” par le cours de l’histoire (et rien ici n’est nouveau sous le soleil: les protestations contre la “barbarie” tauromachique étaient déjà monnaie courante dans les années 20, y compris en Espagne, Catalogne en tête), dont on peut gager raisonnablement que tout ce qui en restera sera une série de mots et d’images. Surtout de mots, en tout cas davantage de mots que d’images: regarder un combat est bien moins passionnant que lire un bon texte sur le sujet (je n’ai jamais ressenti la moindre envie d’aller moi-même à l’arène). Qu’on lise ou non la tauromachie comme une illustration ou un symbole de l’acte littéraire même, l’évocation de ce spectacle à mi-chemin du rite ancestral et du sport moderne, a donné lieu à un genre littéraire qu’il serait enfantin de tenir à l’écart pour cause de moralité publique.