Virulentes ont été mes amours pour quelques femmes du passé.
Hélène de Surgères, si belle et si sage. Ronsard s’y est cassé les dents, celles qui lui restaient. Anne-Prospère de Launey, belle-sœur du jeune marquis de Sade, et son amante. Je vois son visage, je vois ses mots, ils me font brûler. Et Marie de Régnier, l’incomparable, l’absolue.
Marie est une de mes passions platoniques les plus ardentes. Seule la barrière spatio-temporelle infranchissable a fait que je ne l’ai pas rencontrée, et je n’aurais laissé passer aucune chance de la prendre dans mes bras. Elle avait un charme espiègle, libre, brillant et parfois un peu tragique que je trouve irrésistible, et un regard à faire revenir un mourant. Elle était la poésie, incarnée contre toute espérance, et la beauté même, dans son mélange inimitable de vivacité et de langueur.
Elle écrivait, et c’est son seul point faible. Son œuvre n’est vraiment pas merveilleuse. Sous son nom de plume de Gérard d’Houville, elle a publié beaucoup. Le seul livre passable est son premier, L’Inconstante, où elle raconte sous une forme à peine transposée ses amours avec Pierre Louÿs et Jean de Tinan. Il y a aussi les beaux vers qu’elle laissait à Pierre en quittant la garçonnière de la rue Carnot où les deux amants se retrouvaient.
Je connais dans les moindres détails la forme de son corps et les rayures du matelas sur lequel elle s’allongeait. Je l’ai souvent rejointe en esprit, et pas seulement en esprit. La littérature est une chose très physique. Elle a ses noms, elle a ses chambres, elle a ses numéros : rue Carnot, rue Ribot, où j’ai vécu moi-même, et où mon cœur est resté.