Cérémonial espagnol du phénix (1961) est un recueil tardif de Jean Cocteau. On y trouve le vers que voici :
« La beauté court vite je dois courir plus vite ».
Ce vers fascine autant qu’il émeut. Qu’on puisse le citer hors contexte ne nuit nullement à sa beauté, cela en est même à la fois la cause et la conséquence : comme le vers est beau, il tend à s’imposer tout seul (on le retient davantage que d’autres), et dès qu’on le détache de l’ensemble, ses qualités sautent encore plus aux yeux.
Mais quelles qualités ? D’abord celles de la versification. En supprimant toute ponctuation, Cocteau valorise l’alexandrin comme un tout, comme un mot nouveau (dans un bon alexandrin, on ne compte ni les syllabes ni même les mots), tout en proposant une structure presque scolaire : deux hémistiches de six pieds, dont le second est une variation sur le premier. En jouant sur les deux valeurs métriques du mot « vite » (le e muet compte dans le premier cas, mais non dans le second), il rend hommage aux subtilités de la diction poétique française, et ce dans un livre éminemment espagnol.
Ensuite, celles de la suggestion poétique. L’idée du vers n’a rien de très original, mais l’absence du mot « donc » entre les deux hémistiches, ou de quelque autre élément de conjonction, fait que le lien entre ce qui se pose au début, puis s’y greffe dans la seconde moitié du vers ne peut se réduire à quelque pensée unique. En disant moins, le poète dit plus, mais sans que le texte ne devienne confus, vague, voire incompréhensible. Rien de plus précis que ces quelques mots, et pourtant le sens reste vivant.
Enfin, celles encore de l’extrême simplicité du vocabulaire et de la syntaxe, hommage aux coplas espagnoles qui servent, avec la grande poésie baroque, d’arrière-fond au recueil. Mais dans l’un et l’autre cas, poésie populaire des coplas, poésie savante du baroquisme, la charpente formelle du texte est d’une clarté exceptionnelle. Il n’y a pas de graisse, et la richesse dépend justement de cela.
Cocteau récrivant, repensant, réinventant l’espagnolisme en poésie, ce n’est ni une facile parodie, ni un gratuit euro-pudding, mais une façon de se frotter en français à des réalités, à des types d’écriture, à une conjonction de thèmes et de formes qui manquent parfois en français.