Qu’est-ce que le féminin dans la langue ? Une question de lexique : comment ne pas applaudir à la féminisation des noms de métier (à condition que le réel suive, bien entendu) ? Une question de ton, de syntaxe, de registre : les femmes parlent-elles “mieux” que les hommes ? Une question de censure : faut-il chasser l’ordurier (à supposer qu’il soit masculin, ce dont il est permis de douter) ? Une manière de communiquer : est-ce que les hommes coupent davantage la paroles que les autres ? est-ce que la parole des femmes tient davantage du toucher ?
Sophie Loizeau, auteur de deux recueils qui disaient avec verve et impudence les joies du corps (La Nue-bête et Environs du bouc), propose avec caudal (Flammarion, 2013), après La femme lit et le roman de diane, le dernier volet d’un triptyque sur le féminin dans la langue. Son travail, qui prolonge les expériences de Cixous et de Wittig sur l’écriture féminine, est de ceux qui touchent à la langue, à ses articulations formelles et logiques (comment les séparer), à son imaginaire, aux rapports entre lettre, mot, phrase, texte, page, livre, bibliothèque, monde.
Sophie Loizeau brise la langue comme on brise une poupée, elle la réarticule pour en faire un robot, une arme, une anti-poupée, à mi-chemin du mode d’emploi et du patchwork, de l’inchoatif et du plus-que-parfait. On est à la fois en-deçà et au-delà du langage tel qu’on le connaît dans ce livre qui redresse et couche nos manières de parler et de penser.
Les règles du français (mais rien n’oblige à en rester là) ne sortent pas intactes de cet exercice, mais on ne peut pas dire que Sophie Loizeau ne les respecte pas. Elle fait plus : ses manipulations produisent un langage vraiment autre, cassure et raffinement et usurpation en même temps, à mille lieues de l’éternel féminin, au cœur d’un langage dont le règne classique, forcément paternel, s’effrite. Un langage dont les règles semblent se réinventer à mesure, sur mesure d’un autre corps, le sienne (s’il est permis ici de prolonger sur son élan).