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Du côté des auteurs

Nathaniel Rudavsky-Brody, né en 1984 dans l’Ohio mais vivant à Bruxelles, est traducteur de poésie française vers l’américain, notamment des œuvres de Paul Valéry et de Benjamin Fondane, pour lesquels il a reçu en 2013 le « Susan Sontag Prize for Translation ». En lieu de silence, qui vient de paraître aux éditions du Cormier est, après Même la langue (éd. L’Arbre à paroles, 2016), son second recueil et c’est une véritable révélation.

Tout en étant moderne et contemporain, mais pas extrême-contemporain comme on nous presse de l’être, En lieu de silence est d’abord un livre classique, qui accepte le défi de se mesurer avec les thèmes et les enjeux essentiels du lyrisme, plus particulièrement de l’élégie : la mort, le deuil, l’absence, et la coïncidence de l’infiniment grand et de l’infiniment petit que révèlent ces grands thèmes ; à quoi s’ajoute la quête d’une forme appropriée : un ton, un rythme, une disposition typographique, le tout selon l’adage pongien d’« une rhétorique par objet ».

Logiquement, vu les ambitions de ce livre qui ne veut pas faire du neuf pour le neuf mais innover une tradition, le projet en question n’a rien de spectaculaire ou d’inédit. La fusion de du spécifique et de l’universel, de l’exiguïté ou de l’ampleur du vers et des contraintes formelles, du soliloque et de la communication, de la vue et de l’ouïe, du silence et de l’éclat, fait partie du genre, et le poète ne s’autorise aucun écart par rapport à cet horizon fondamental. L’originalité ne vient pas ici d’un refus des conventions, mais au contraire de la nouvelle traversée des repères et recoins d’un type d’écriture restée ouverte à toutes les surprises.

La personne disparue n’est pas directement nommée, mais on imagine sans peine que c’est le père. Toutefois, il arrive aussi que la personne à qui s’adresse le poème soit non pas le père, mais le fils, voire quelqu’un d’autre encore, et ce brouillage des pistes ne tarde guère à s’étendre à tous les aspects du texte : les êtres, les lieux, les temps se chevauchent, mais toujours de manière très délicate et mesurée.

En lieu de silence se compose de deux volets, qui se tressent du début à la fin, avec la même discrétion qui teint l’ensemble du livre.

À gauche, trois courtes lignes en vers libres, qui déclinent une longue rêverie ou plutôt une longue phrase et que l’on peut facilement relire en boucle. Cela commence ainsi : « tu penses maintenant/ à tous les mots/ qui ne riment pas », pour se terminer comme suit : « ils essaient toujours de/ l’étrangler faute/ de pouvoir la posséder ».

À droite, un poème de longueur variable, mais dont la disposition sur la page obéit au procédé de la boule de neige : un court vers initial déborde sur un second légèrement plus long, et ainsi de suite, parfois jusqu’à occuper la justification maximale du pavé imprimé, qui est large. En voici un bref exemple, le premier du recueil :

J’ai dû
attendre,
il est vrai, le temps
que le silence reprenne
ses droits sur ta musique
pour te parler, mais après même
ce temps de désagrègement je ne
sais pas si les années t’ont appris à
entendre : quelle conversation serait-elle possible ?

L’une et l’autre des techniques sont en soi tout à fait banales. Mais leur combinaison ne l’est pas. Le contraste visuel renforce les correspondances entre les champs de résonance : la concision fait sens par rapport à l’étalement des textes en regard, la basse continue du ton plus philosophique crée des échos singuliers et très concrets de l’autre côté du pli de la double page, l’extrême retenue de la première moitié met en lumière la maîtrise du lent écoulement qui lui fait face.

Ces quelques précisions techniques ne sont qu’un simple préambule aux nombreuses découvertes que révèle vite le parcours du moindre vers, toujours parfaitement rythmé, sans jamais la moindre sophistication inutile. Nathaniel Rudavsky-Brody n’est pas un poète qui doit élever la voix pour se faire entendre. Ses poèmes sont la première grande découverte de l’année.

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