Avec L’amour et puis rien (éd. L’Herbe qui tremble, 2017), Luc Dellisse publie un très beau livre, un de ses meilleurs sans doute. Le texte est d’autant plus captivant qu’il peut se lire à la lumière du Jugement dernier, roman paru aux Impressions Nouvelles en 2007 et qui demeure un jalon essentiel dans le parcours de l’auteur. L’amour et puis rien transpose la quête fictionnelle de l’amour et de la femme dans un registre presque documentaire, celui de l’auto-analyse, à mi-chemin de la poésie et de l’essai, du roman et de l’essai, de la confession et du document. Mais il est des thèmes qui sont inépuisables et la publication de L’amour et puis rien est la parfaite occasion de relire Le Jugement dernier (et inversement).
La composition de L’amour et puis rien invite du reste à continuer la lecture dans d’autres textes du même auteur. Le livre obéit au double principe de la variation thématique (les cinquante courts textes qui le composent évoquent tous la passion amoureuse, non pas « un peu » mais « à la folie ») et du compte à rebours (la traversée des chapitres se fait de 50 à 1, sans qu’il y ait de véritable conclusion, la fin de l’histoire se trouvant aussi dans le roman dont il procède, à savoir Le Jugement dernier). Le texte, on l’a compris, est d’un moraliste, c’est-à-dire d’un écrivain capable de saisir, puis d’imposer en quelques phrases une vérité plus générale, qui devient vite celle du lecteur.
L’amour et puis rien pourrait se définir comme un recueil de maximes mises en récit, entreprise qui ne tient debout que par les sortilèges du style. Un livre pareil doit en effet combiner deux traits : rapidité d’abord, justesse de la formule ensuite. Cependant, les dangers d’une telle écriture ne sont pas minces : l’accélération peut tourner à l’ellipse ; la formule qui frappe, dégénérer en préciosité. L’impact de la brusquerie et du choc est ici indéniable, mais on sait au moins depuis Hitchcock qu’il y a de bonnes raisons de préférer le suspense à la surprise. La grande originalité de Luc Dellisse est de montrer, cinquante exemples à l’appui, qu’il est possible de mettre en place une écriture du suspense qui intègre à tout moment des éléments de surprise. Le lecteur est bousculé à chaque page, à chaque transition d’un paragraphe à l’autre, souvent à l’intérieur même des phrases. En même temps, il reste fixé sur le dénouement d’un secret qui bien sûr n’arrivera jamais.
L’amour et puis rien est un livre qui tend donc sans arrêt vers une conclusion, mais qui le fait en multipliant les conclusions partielles que l’auteur relance au même moment qu’il les efface. De ce point de vue, le présent livre est aussi une réflexion sur les leçons du scénario, que Luc Dellisse a démontrées avec brio dans deux précédents essais, L’Invention du scénario et L’Atelier du scénariste. L’amour et puis rien est aussi le prolongement de ces travaux critiques. Leur intelligence est pour beaucoup dans la réussite du nouveau livre qui mêle intimement les genres sans jamais se départir d’un registre personnel où la signature de l’écrivain se retrouve d’un bout à l’autre du texte.