Dans l’ordre du dépliement de ma vie, par vagues successives, sous forme de récits organisés, je cherche un principe de réalité qui n’est pas le réel.
J’ai entamé en 2004, sans prévoir la durée ni le nombre, une suite de romans aux sujets très divers, traversés par un personnage récurrent, qui porte mon nom et mon visage, et qui vit ma vie sous forme d’épisodes inédits : ce que j’appelle mon autobiographie imaginaire.
Une autobiographie de cette nature, si elle peut exister, consiste d’abord à se décrire dans l’apparence, le caractère, la façon de parler, dans tous les comportements ordinaires ou induits, aussi fidèlement que possible; et d’introduire ensuite ce personnage dans un continuum d’événements qu’aucun œil objectif n’aurait pu enregistrer : on les a inventés un par un.
La nature de cette invention est le vrai mystère d’un récit pseudo-autobiographique. Ses éléments les plus précis ne se sont pas produits, mais ils étaient si proches du réel, ils m’ont cerné de si près, qu’ils auraient pu se produire, et même, qu’ils auraient dû se produire.
De façon générale, je reçois du présent, sans cesse et presque chaque jour, des commencements : rencontres, messages, mystères, surgissements. Ce sont des miracles de l’instant. Si on ne les saisit pas au vol, l’instant d’après les balaiera. Le plus souvent, je laisse filer ces flèches. L’écriture les rattrapera, s’il y a lieu.
Tout roman est un Nautilus. On n’a pas toujours envie de plonger.
Dans ma gibecière de la semaine : la gare de Mulhouse, l’objet noir volant, les sous-verres laqués.
Gare de Mulhouse, le buffet. Je vais aux toilettes, j’en ressors. Le lavabo sépare le côté hommes du côté femmes. Je me lave les mains. Derrière moi, une jeune femme se recoiffe. Au moment où je vais sortir, elle m’appelle : « Monsieur, monsieur ! » Je tourne la tête. « Est-ce que vous me trouvez jolie ? » Je la regarde de tous mes yeux. « Très jolie » « Merci monsieur ! ». Chacun s’en va vers son destin.
Un autre jour, le soir, je rentre chez moi, à Neuilly, je longe les grilles, un objet, jailli d’une fenêtre, trace une boucle dans l’air, ricoche sur la grille, se scinde en deux plaques noires. Je les ramasse : un i-phone. En ordre de marche.
Un autre jour, chez moi. J’ouvre le petit paquet parfumé au jasmin, qu’une étudiante chinoise m’a donné, entre deux portes, pour l’avoir aidée à finir son film. A l’intérieur, des sous-verre en bois laqué. Je les pose sur une étagère. Au moment de chiffonner l’emballage, je vois un texte écrit à l’intérieur, au feutre noir : « Mes yeux dans le ciel sont des trous d’étoiles pleins de sang. »
Il faudrait être un dormeur bien profond pour ne pas capter des signaux aussi forts.
En les menant, par l’écriture, jusqu’au bout, je ne fais que prolonger l’onde du choc d’un événement réel, jusqu’à sa ligne indubitable.
La vie fourmille d’idées, mais elle n‘est pas un écrivain. J’en suis un, pour le meilleur et pour le pire. Nous nous entraidons.