Qui était « René avant Magritte » ? Une énigme, que personne, jusqu’ici, n’avait cherché à éclaircir. C’est ce qu’a voulu découvrir Jacques Roisin, au cours de l’investigation qu’il a menée pendant treize années (de 1985 à 1998), en rencontrant tous les témoins, encore vivants, de la jeunesse du peintre et en fréquentant tous les lieux de ses vingt-huit premières années. Le compte rendu de ce travail de recherche colossal et rigoureux est écrit sur le ton d’une véritable enquête policière ponctuée de dialogues. Le récit nous fait revivre, dans le cadre du « Pays noir » de Charleroi puis à Bruxelles, son milieu bourgeois, le parcours de son père, représentant en cocoline, ses frasques cruelles avec ses frères, sa fascination pour les images, ses lectures et ses séances de cinéma muet, les circonstances du suicide de sa mère – tout ce passé que le peintre cherchera à oublier, dont il refusera toujours de parler – et, enfin, sa rencontre avec un peintre dans un cimetière, son amour pour Georgette Berger et le choc de la découverte du « Chant d’amour » de Giorgio de Chirico.
Tout au long de ce livre, vivant comme un reportage, passionnant comme un roman, apparaît en filigrane l’esprit subversif d’un « Ceci n’est pas une pipe », véritable manifeste surréaliste, en germe dans l’enfance et la jeunesse de René Magritte. Cette biographie du jeune Magritte nous permet de comprendre l’homme qu’il deviendra, et cette réponse lapidaire qu’il donnera, dans un questionnaire publié en 1946 : « Je déteste mon passé et celui des autres. » Les innombrables témoignages de première main, recueillis auprès de ceux qui ont bien connu le jeune René, étayent l’enquête de terrain et permettent d’éclairer d’un jour totalement nouveau une œuvre qui ne cesse de nous interpeler.
De nombreux documents iconographiques, eux-mêmes inédits, concernant René, sa famille, son quartier, les lieux et les gens qu’il a fréquentés, le quai de la Sambre où sa mère a mis fin à ses jours, enrichissent l’intérêt de la lecture. Le portrait de René minutieusement recomposé par Jacques Roisin nous apparaît comme la face cachée du peintre Magritte – comme si ce dernier, en rupture avec son propre passé, avait décidé d’exprimer désormais ses obsessions subversives dans son seul discours pictural.
Ce remarquable travail biographique débuta avec un court texte consacré à la généalogie de René Magritte : Le fils de l’homme.