L’Amateur de poèmes, neuvième volume de la collection “Métamorphoses” dirigée par Jean Paulhan, est un recueil de textes traduits de diverses langues par quelqu’un qui se présente modestement comme un amateur de poèmes (et le fait d’utiliser “poèmes” au lieu de “poésie” est un autre signe de discrétion) . Cet amateur s’appelle Jean Prévost, et l’on se rappelle du beau livre d’hommage à cet écrivain mi-célèbre, mi-oublié, par Jean-Pierre Longre et William Marx, Jean Prévost aux avant-postes). Dans une vente publique, je retrouve, pour trois euros, un exemplaire de l’édition originale, aujourd’hui intégrée à un autre volume, Derniers poèmes, non réimprimé depuis 1991.
L’achevé d’imprimer laisse rêveur: le 8 mai 1940, peut-être le dernier livre publié par Gallimard avant le déclenchement des hostilités? Il souligne aussi le poids ‒et l’intelligence‒ de ce que Jean Prévost dit sur la situation de la poésie dans les derniers jours de la drôle de guerre. Notre époque, dit l’amateur, manque de poètes, et même doublement: d’abord parce qu’il n’y en a plus (les poètes ont oublié ce qu’est la poésie, car à l’exception d’un Paul Valéry, ils ont renoncé à la forme et ils ne font plus que de la prose entrecoupée de blancs ‒regardez Claudel); ensuite, parce que nous avons besoin d’eux, les façons de dire existantes ne suffisant plus à dire avec un minimum de dignité les sentiments forts et neufs de ceux qui les vivent.
L’Amateur de poèmes se propose de remédier à ce manque, non pas à l’aide d’une nouvelle théorie (le temps des manifestes n’est plus, ou il n’est pas encore revenu), mais au moyen de quelques exemples, et de quelques petits commentaires sur la manière dont ces exemples ont été traduits. Que faut-il en retenir, qui puisse encore nous intéresser, c’est-à-dire nous être utile, aujourd’hui? Trois choses. Premièrement: poésie savante et poésie populaire ne sont pas des forces antagonistes, mais complémentaires (“populaire”, précise Prévost, est tout le contraire de “vulgaire”, il pense évidemment à Lorca). Deuxièmement: que la poésie n’existe pas en dehors d’une forme, et que cette forme implique inévitablement la concision (il aurait pu citer aussi Paul Valéry, pour qui entre deux mots il fallait toujours choisir le moindre). Troisièmement, que cette concision n’est pas uniquement question de brièveté ou d’absence de longueur, mais qu’elle résulte aussi du jeu de plusieurs paramètres (les accents ou la sonorité sont tout aussi importants que le nombre de lettres ou de syllabes).
Et tout cela illustré par des traductions d’auteurs qui deviendront ou resteront très connus (Prévost avait le jugement très sûr), soit anonymes (l’équivalent historique de notre street art?), comme cette jolie copla, intitulée Prière:
“Je voudrais bien être avec vous// Comme sont les pieds de Jésus:// L’un dessous et l’autre dessus.// Entre les deux, un petit clou.”