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Du côté des auteurs

Inactuelle, et donc classique, farouchement personnelle, Sandrine Willems est une auteure qui a toujours refusé les solutions de facilité. Son style est sans concession aux charmes des mots d’un jour et de la petite syntaxe moderne. Ses thèmes sont d’une gravité devenue rare mais qui touche au cœur des questions essentielles. Quant à son goût de l’alternance des genres, il va bien au-delà les tièdes mélanges où ne se laisse plus sentir le choc de l’écriture transgenre, si tranquillement assumée par Sandrine Willems dans son passage du roman à l’essai, du journal à la nouvelle ou encore de l’histoire à l’autobiographie.

Deux nouveaux livres en apportent aujourd’hui une preuve éclatante. Les Petits Dieux – une sélection de cinq romans-miniature, déjà parus dans une série plus vaste en 2001-2002, mais rapprochés ici de manière inédite en un beau volume de la collection patrimoniale Espace Nord – et Addictions et Reliances – un essai sur son travail de psy auprès de patients addicts, dans une situation de détresse souvent absolue – abordent chacun, dans le registre qui est le sien, des interrogations essentielles en même temps que dérangeantes. L’une et l’autre de ces publications abordent en effet la question de notre rapport à l’autre, aux autres, pour en examiner la dimension proprement métaphysique. Les Petits Dieux mettent en scène, sous forme de monologue, un personnage historique ou mythologique dont la vie fut bouleversée par la rencontre avec un petit dieu, c’est-à-dire un animal, la divinité de l’animal tenant à sa capacité de nous ouvrir à une existence plus large que la nôtre : Abraham et l’agneau, Chardin et le lièvre, Tchang et le yéti, la Dame et la licorne, Carmen et le taureau. De son côté, Addictions et Reliances donne à cette notion de rapport avec l’autre que soi une dimension plus radicale encore, dont nous avons sans doute perdu l’habitude mais non pour autant  le désir ou le besoin, comme le montrent les récits de vie et d’analyse retracés dans ce livre, né du rapprochement entre « addiction », réponse désespérée à une situation de solitude et de perte, et « reliance », désir que Sandrine Willems rattache à l’élan religieux (au sens large, étymologique, de re-ligare, re-lier) :

« Reliance plutôt que relation, car tandis que la relation se crée entre deux êtres ou deux éléments, la reliance désigne ce qui lie un être à ce qui l’environne, le porte et l’englobe. Et parce qu’une relation s’établit peu à peu, alors que la reliance existe d’emblée. Cela étant, on peut ou non en prendre conscience, et par là l’intensifier, ce qui en fait un processus évolutif, et sans fin assignable. D’où la préférence d’un terme qui évoque plutôt une dynamique que son résultat. Et qui par son préfixe évoque un retour, à une origine peut-être mythique mais en tout cas perdue – une restauration, qui apparente la reliance à la résilience (p. 8). »

Sandrine Willems est critique, essayiste, philosophe, si l’on préfère. Mais avant tout elle est écrivaine, et c’est pourquoi il importe de lire ses deux nouveaux livres comme des œuvres croisées. À revisiter Les Petits Dieux en même temps qu’Addictions et Reliances, on comprend mieux ce qui amène l’auteure à souligner le caractère proprement religieux de notre contact avec les animaux. De la même façon, la superposition des deux ouvrages fait voir à quel point l’addiction, cette dérive qui paraît enfermer le patient « dé-relié » dans une rupture radicalement solipsiste, reçoit un autre sens à la lumière de l’idée, ou plus exactement de l’horizon, de la reliance – dont les animaux peuvent du reste très bien se faire les intermédiaires, comme le montrent tant de témoignages recueillis dans Addictions et Reliances. Les Petits Dieux sont la transposition fictionnelle d’un désir absolu, que l’on retrouve dans le livre sur la pratique de psy – dont Sandrine Willems répète à juste titre qu’il a été écrit non pas sur ses patients, mais avec eux. Addictions et Reliances a beau ne pas s’aventurer dans la fiction, les témoignages qu’il rassemble ne diffèrent qu’à peine des récits imaginaires du premier livre. De part et d’autre, c’est la rencontre, c’est-à-dire le dépassement de soi et son accueil par une réalité plus grande, qui est au cœur du travail de Sandrine Willems. Nulle autre écrivaine n’explore avec autant de force l’identité de l’amour qu’on porte à autrui et de l’amour qu’on en reçoit.

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